À moins de deux mois d’une échéance jugée explosive, des partis politiques et des forces vives haïtiennes tirent la sonnette d’alarme. Dans une démarche qu’ils présentent comme strictement légale et constitutionnelle, les signataires du Consensus national de la transition politique (CNTP) appellent les États-Unis à soutenir ce qu’ils nomment la Doctrine de l’Intérim Judiciaire, afin d’éviter un effondrement institutionnel total après le 7 février 2026.
Le compte à rebours est lancé. Le 7 février 2026 marque la fin annoncée du Conseil présidentiel de transition (CPT), sans qu’aucun cadre légal clair ne soit défini pour l’après-transition. Pour de nombreux observateurs, cette incertitude ouvre la voie à un scénario redouté : un vide de pouvoir inédit, susceptible d’aggraver l’instabilité politique, sécuritaire et sociale déjà chronique en Haïti.
C’est dans ce contexte jugé critique que les partis politiques et organisations signataires du Protocole d’accord pour le Consensus national de la transition politique (CNTP) ont décidé de s’adresser directement au président des États-Unis, Donald Trump. Leur message est clair : sans solution constitutionnelle immédiate, la République risque de basculer dans l’anarchie.
La “Doctrine de l’Intérim Judiciaire”, un pari sur le droit
Face à l’impasse politique, les signataires du CNTP affirment avoir fait le choix du droit plutôt que de l’arrangement politique. Ils plaident pour l’activation de la Doctrine de l’Intérim Judiciaire, fondée sur l’article 184.2 de la Constitution haïtienne.
Selon cette lecture, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), en tant que codépositaire de la souveraineté nationale, serait habilité à élire un président provisoire. Une démarche que les promoteurs du projet décrivent non pas comme une manœuvre politique, mais comme un acte de sauvegarde constitutionnelle, visant à préserver le dernier pilier institutionnel encore fonctionnel.
Neutralité politique et calendrier limité : les garanties avancées
Conscients des dérives passées des transitions politiques en Haïti, les initiateurs du projet insistent sur des garde-fous. Le président provisoire issu du CSPJ serait un garant constitutionnel neutre, formellement engagé à ne pas se présenter aux prochaines élections.
La feuille de route proposée, limitée à 36 mois maximum, se veut resserrée autour de trois priorités jugées essentielles :
Le rétablissement de la sécurité, à travers un Plan de sécurité nationale ;
Des réformes légales et constitutionnelles ciblées, notamment des codes pénal et de procédure pénale ;
L’organisation d’élections générales crédibles, sous la supervision d’organes indépendants et transparents.
Dans leur appel, les signataires du CNTP ne cachent pas l’importance stratégique du soutien américain. Ils estiment que la reconnaissance rapide d’un président provisoire issu du CSPJ par Washington serait déterminante, tant pour la légitimité internationale que pour la dissuasion contre toute tentative de déstabilisation interne.
Au-delà du symbole politique, ils sollicitent également une assistance sécuritaire et technique d’urgence : renforcement logistique, équipements et appui en renseignement aux forces de sécurité haïtiennes. Pour eux, la sécurité reste le préalable incontournable à toute réforme politique ou humanitaire.
Enfin, ils appellent les partenaires internationaux à exiger des mécanismes stricts de transparence, notamment à travers une collaboration directe avec un Organe de contrôle inter-institutionnel, afin d’éviter le gaspillage et la corruption des fonds d’aide.
Entre appel international et responsabilité nationale
Si cette démarche s’adresse directement au président américain, elle soulève aussi un débat plus large sur la capacité des acteurs haïtiens à reprendre la main sur leur destin politique. En misant sur une solution constitutionnelle portée par le pouvoir judiciaire, les signataires du CNTP tentent de se démarquer des transitions négociées sous pression internationale, souvent critiquées pour leur manque de légitimité populaire.
Reste à savoir si cet appel trouvera un écho favorable à Washington, et surtout, s’il parviendra à fédérer suffisamment d’acteurs à l’intérieur du pays pour éviter une nouvelle impasse.
À l’approche du 7 février 2026, une chose est certaine : Haïti se trouve à un carrefour décisif. Entre vide institutionnel, quête de légalité et dépendance au soutien international, la proposition de l’Intérim Judiciaire s’impose désormais dans le débat public. Qu’elle soit adoptée ou contestée, elle pose une question fondamentale : le salut de la transition haïtienne passera-t-il enfin par le droit, plutôt que par les compromis de circonstance ?
RL News
