Alors que la sélection haïtienne renoue avec la Coupe du monde après cinquante-deux ans d’absence, le Dr Rénald Lubérice, ancien Secrétaire général du Conseil des ministres, invite le pays à transformer l’euphorie populaire en stratégie nationale. Selon lui, le football représente aujourd’hui le seul espace d’unité véritable dans une nation fracturée. Il voit dans cette qualification historique un levier que l’État refuse d’exploiter depuis trop longtemps.
La qualification des Grenadiers a créé une vague d’espoir qui a traversé tous les territoires, des quartiers meurtris de Port-au-Prince jusqu’aux communautés de la diaspora. En quelques heures, Haïti a retrouvé un souffle collectif : fierté, appartenance, dignité.
Pour le Dr Lubérice, cette communion spontanée révèle une évidence : « Ce que la politique ne produit plus, ce que l’économie n’offre plus, le football le crée en une soirée. »Dans un pays où tout divise, le sport-roi demeure l’un des rares langages communs.
L’ancien haut fonctionnaire dénonce cependant le détachement d’une partie de l’élite haïtienne, qui considère la qualification comme une parenthèse festive et non comme un outil stratégique. Cette attitude, affirme-t-il, témoigne d’une incapacité à reconnaître la puissance de nos propres ressources culturelles.
Haïti n’est pas une puissance industrielle ni une référence en matière de gouvernance. Mais elle possède un atout unique : une passion massive, transversale et organique pour le football.Ignorer ce capital social revient, selon Lubérice, à renoncer à un moteur potentiel de reconstruction collective.
L’exemple jamaïcain : transformer un talent en politique d’État
Pour appuyer son analyse, le Dr Lubérice rappelle l’évolution de la Jamaïque, aujourd’hui force mondiale de l’athlétisme. Cette réussite n’a rien d’un miracle : elle découle d’un choix politique clair. Le pays a investi dans ce qu’il maîtrisait déjà, créant :
des infrastructures adaptées ;
un système éducatif aligné sur les valeurs sportives ;
une gouvernance sportive cohérente ;
une industrie culturelle et touristique articulée autour du sport.
Une démonstration que même de petits États peuvent devenir influents lorsqu’ils transforment un talent naturel en priorité nationale.
Faire du football un projet de société : la feuille de route du Dr Lubérice
L’ancien Secrétaire général du Conseil des ministres propose un plan structuré pour faire du football un pilier de développement. Son approche repose sur quatre axes majeurs :
- Allouer 35 % du budget national à l’éducation et au sport
Objectif : renforcer l’encadrement des jeunes, développer les infrastructures et offrir de véritables opportunités d’ascension sociale.
- Construire dix centres de formation modernes
Un par département, comprenant :
écoles académiques ;
centres de performance ;
techniciens certifiés ;
système national de détection des talents.
- Professionnaliser la gouvernance du football
Avec des audits, des objectifs mesurables, une gestion indépendante et une culture de performance inspirée des standards internationaux.
- Valoriser l’économie du football haïtien
Le football doit devenir un secteur stratégique :
un joueur formé devient un produit exportable ;
une sélection performante devient une vitrine économique ;
une fédération solide attire sponsors, partenariats et investissements.
Haïti, un vivier caribéen sous-exploité
Le Dr Lubérice insiste : malgré l’insécurité et la pauvreté, Haïti produit des talents dotés d’une créativité et d’une discipline remarquables. Cette dynamique n’est pas un accident, mais le résultat d’une passion culturelle enracinée.
Dans un monde où le sport pèse des milliards de dollars, Haïti peut devenir une pépinière de talents pour toute la Caraïbe — si elle décide enfin de structurer ce potentiel.
Un moment historique à ne pas gaspiller
Pour Lubérice, l’urgence ne réside pas dans le parcours des Grenadiers en Coupe du monde, mais dans l’incapacité du pays à transformer cet exploit en vision.
Le véritable échec serait de laisser ce moment rejoindre la longue liste d’opportunités perdues.
« L’Histoire frappe à nouveau à notre porte. Elle dit : vous pouvez encore croire. »
La question essentielle demeure : combien de fois Haïti refusera-t-elle ce qui est possible ?
Le Dr Rénald Lubérice conclut que le football doit devenir :
une politique d’unité nationale ;
une stratégie d’avenir pour la jeunesse ;
Il en appelle au courage politique et à une nouvelle ambition collective. L’exploit des Grenadiers ne doit pas rester un souvenir : il doit devenir la base d’un projet national. Haïti n’a peut-être pas beaucoup d’espaces de rassemblement, mais elle en possède un qui fonctionne. Il est temps d’en faire un moteur d’avenir.
RL News
