Éditorial – Haïti : Quand les gangs dictent la « paix »

Éditorial – Haïti : Quand les gangs dictent la « paix »
Spread the love

Par Yves MANUEL

Ils rentrent. Des centaines de familles déplacées par les violences armées ont pris, ces derniers jours, le chemin de leurs quartiers. Mais ce retour n’a rien d’un rétablissement de l’ordre public. Car à Port-au-Prince, ce n’est pas l’État qui ouvre la voie à ses citoyens. C’est Jimmy Chérizier, alias Barbecue, chef de la coalition criminelle Viv Ansanm, qui ordonne le retrait de ses hommes dans certaines zones. Voilà où nous en sommes : la « paix » se négocie désormais à la merci d’un chef de gang.

Derrière cette annonce se cache une évidence glaçante : l’État n’existe pas dans ces quartiers. Pas de police pour garantir la sécurité, pas de justice pour sanctionner les crimes, pas de services publics pour accompagner le retour. Seuls subsistent les ordres donnés par les chefs armés, et la peur qu’ils inspirent. Ceux qui rentrent le font sous la condition implicite de leur tolérance. La paix se vit, pour l’instant, comme une faveur concédée, non comme un droit garanti.

Ce retour ne s’explique ni par une soudaine prise de conscience humanitaire des gangs, ni par un repentir. Il répond à une logique stratégique. Alors que la Police nationale d’Haïti, épaulée par la mission multinationale, prépare l’intensification de ses opérations, les groupes armés cherchent à se repositionner. Laisser les habitants revenir, c’est les transformer en boucliers humains et, bientôt, en sources de revenus par l’extorsion. En d’autres termes : ce que les gangs concèdent d’une main, ils entendent le récupérer de l’autre.

L’État en faillite, les civils en première ligne

Le plus préoccupant demeure l’absence totale de l’État. Aucun plan de sécurisation, aucune assistance, aucun accompagnement des familles qui retrouvent leurs maisons pillées, incendiées, parfois réduites en ruines. Dans cette faillite généralisée, les déplacés deviennent des survivants livrés à eux-mêmes, piégés entre camps insalubres et quartiers minés par la criminalité.

Notre conviction

Un État qui n’est pas capable d’assurer la sécurité sur son propre territoire abdique sa souveraineté et abandonne ses citoyens. Ce vide, ce sont les gangs qui l’occupent, dictant les règles, gérant les déplacements et orchestrant les retours. Mais il n’y aura pas de paix durable tant que ce pouvoir parallèle ne sera pas démantelé, tant que les habitants ne retrouveront pas une autorité légitime capable de les protéger et de leur offrir des conditions de vie décentes.

Aujourd’hui, ce que nous observons n’est pas un retour à la normalité. C’est la mise en scène d’une trêve cynique, imposée par les armes et la peur. La véritable question est simple : quand l’État haïtien, soutenu par ses partenaires, reprendra-t-il enfin le contrôle, non pas seulement des territoires, mais de sa mission première — protéger et servir ses citoyens ?

RLnews ( RL)

rlnewshaiti

Leave a Reply