Par Yves Manuel – RLNEWS
Dans un pays exsangue, où la parole politique a perdu toute valeur, les discours d’investiture sont souvent accueillis avec scepticisme, sinon avec ironie. Pourtant, ce 7 août 2025, Laurent Saint-Cyr, fraîchement installé à la tête du Conseil Présidentiel de Transition (KPT), a surpris. Il a choisi un ton direct, une parole grave et une posture claire : « Bagay la mangonmen, se pa moman pou bèl diskou, men pou aksyon. »
Une déclaration qui tranche avec l’art oratoire vide souvent servi aux Haïtiens. Une sortie calculée, sans doute, mais nécessaire. Car la suspicion est forte. L’homme vient du secteur privé, il en est même une figure de proue, ancien président de la Chambre de commerce haïtiano-américaine. Et voilà qu’il hérite d’une fonction éminemment politique dans une structure censée remettre l’État sur ses rails. La contradiction n’a pas échappé à l’opinion.
Dès lors, son premier message ne pouvait être que celui-ci : rassurer. Rassurer la population qu’il n’est pas là pour « renforcer les privilèges », mais pour organiser une sortie de crise. Rassurer les institutions qu’il n’est pas en mission commandée pour le patronat, mais en quête d’efficacité publique. Rassurer même ses pairs au sein du Conseil, en se positionnant comme coordonnateur impartial et facilitateur d’actions concrètes.
Mais rassurer ne suffit pas.
Les paroles, fussent-elles sincères, ne font pas reculer les gangs. Elles ne restaurent pas l’autorité de l’État. Elles ne ramènent pas les enfants à l’école ni les citoyens dans leurs quartiers. Ce que les Haïtiens attendent aujourd’hui, ce sont des preuves, pas des promesses. Ils veulent des routes libérées, des marchés fonctionnels, une justice active, une police crédible. Pas un énième « visage propre » recyclé dans le décor institutionnel.
M. Saint-Cyr dit vouloir « coordonner », « agir », « servir ». Soit. Mais à ce niveau de responsabilité, les intentions comptent peu. Seul le résultat pourra le définir. S’il veut faire mentir ceux qui pensent qu’il est là pour habiller d’un masque républicain les intérêts économiques, il devra poser des actes courageux, quitte à froisser certains de ses anciens alliés.
Le KPT n’a que peu de temps, peu de moyens et encore moins de légitimité populaire. Son unique chance, c’est de livrer des résultats visibles, immédiats, concrets. Et en cela, le coordonnateur sera jugé non pas sur sa capacité à apaiser, mais à trancher. Entre intérêts privés et salut public. Entre immobilisme et réforme. Entre paroles et actes.
L’histoire récente d’Haïti est jonchée d’hommes bien habillés, bien éduqués, bien intentionnés, mais impuissants. Laurent Saint-Cyr peut-il faire exception ? C’est désormais à lui de le prouver.
RLNEWS ( RL)
