Éditorial – Quand les États-Unis menacent la liberté de la presse qu’ils prétendent défendre

La proposition du Département de la Sécurité intérieure américain visant à limiter les visas des journalistes étrangers soulève une vague d’indignation internationale et remet en question l’autorité morale des États-Unis en matière de liberté de la presse.
L’annonce faite le 28 août dernier par le Département de la Sécurité intérieure (DHS) des États-Unis marque un tournant inquiétant pour la liberté de la presse. Réduire la durée des visas accordés aux journalistes étrangers à 240 jours, renouvelables une seule fois, sous prétexte de sécurité nationale et de lutte contre les abus de visa, ne relève pas seulement de la bureaucratie : c’est une attaque directe contre l’indépendance de l’information.
Ce qui, à première vue, pourrait sembler une réforme technique dissimule en réalité une arme politique redoutable. En introduisant une incertitude permanente quant au statut des correspondants étrangers, Washington place ces derniers dans une position de vulnérabilité. La conséquence est limpide : l’autocensure. Comment enquêter sereinement sur des dossiers sensibles lorsqu’une simple décision administrative peut mettre fin à votre présence sur le sol américain ?
L’Association interaméricaine de la presse (IAPA) a tiré la sonnette d’alarme. Son président, José Roberto Dutriz, rappelle que les États-Unis, en adoptant des pratiques qu’ils reprochent depuis des décennies aux régimes autoritaires, sapent leur propre autorité morale sur la scène internationale. Martha Ramos, du Comité pour la liberté de la presse de l’IAPA, va plus loin : cette initiative risque non seulement de restreindre l’accès à l’information, mais aussi de déclencher des représailles diplomatiques contre les journalistes américains à l’étranger.
Le constat est partagé par de nombreuses organisations. WAN-IFRA parle d’une mesure « discriminatoire » pour résoudre un « problème inexistant ». Reporters sans frontières rappelle que l’arme du visa, utilisée de façon arbitraire, est l’un des outils favoris des régimes autoritaires pour expulser les journalistes gênants. Autrement dit, les États-Unis, qui se veulent champions de la liberté de la presse, empruntent aujourd’hui les méthodes mêmes qu’ils dénoncent.
Il n’est pas anodin que cette proposition ait suscité l’opposition de plus de trente organisations internationales de médias. Toutes pointent du doigt la même dérive : transformer la régulation des visas en instrument de contrôle politique. Dans un monde où la désinformation prospère, restreindre les conditions de travail des journalistes ne fait qu’affaiblir encore la transparence et la confiance publique.
La question est simple : Washington veut-il réellement défendre la liberté de la presse ou préfère-t-il en limiter l’exercice lorsque celui-ci dérange ?
Il reste une possibilité d’action : le DHS a ouvert une période de consultation publique jusqu’au 26 octobre. Les voix citoyennes, médiatiques et diplomatiques doivent se faire entendre. Car au-delà d’une simple réforme administrative, c’est un principe fondamental qui est en jeu : le droit de savoir et d’informer sans entraves.
Les États-Unis jouent gros. En restreignant la liberté de la presse étrangère sur leur sol, ils risquent non seulement d’entacher leur image, mais aussi d’ouvrir une ère où la vérité sera soumise à un visa temporaire.
RLnews ( RL)