Dans une lettre adressée à de hauts responsables du Congrès, la Conférence des Pasteurs Haïtiens (COPAH) accuse certains diplomates américains de s’être écartés des normes internationales en multipliant les pressions politiques en Haïti. L’organisation religieuse demande une enquête parlementaire américaine et appelle au respect de la souveraineté haïtienne.
La Conférence des Pasteurs Haïtiens (COPAH) a franchi une étape peu commune. Dans un document volumineux envoyé au Sénat et à la Chambre des représentants des États-Unis, ses dirigeants accusent ouvertement plusieurs diplomates américains d’entretenir, depuis des décennies, une dynamique d’ingérence persistante au cœur du système politique haïtien.
L’organisation affirme que certaines pratiques diplomatiques observées en Haïti constituent des violations de l’article 41 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, lequel interdit formellement toute intervention dans les affaires internes d’un État souverain.
Pour étayer son argumentaire, COPAH revient sur plusieurs épisodes marquants :
1991 : la chute du président Jean-Bertrand Aristide, souvent associée — à tort ou à raison — à des influences étrangères, continue de nourrir un imaginaire collectif dominé par la défiance.
2011 : après le séisme meurtrier de 2010, les pressions exercées par Washington pour réviser les résultats électoraux ont contribué à l’arrivée au pouvoir de Michel Martelly, perçue par une partie de la population comme imposée de l’extérieur.
2021–2024 : à la suite de l’assassinat de Jovenel Moïse, le soutien américain au Premier ministre Ariel Henry est vu par COPAH comme une intrusion supplémentaire dans un processus de succession pourtant encadré par la Constitution haïtienne.
Pour l’organisation pastorale, ces épisodes ont non seulement affaibli les institutions haïtiennes, mais aussi ancré l’idée d’un pays “sous tutelle” diplomatique.
Le cas Wooster : le message qui a mis le feu aux poudres
L’un des éléments les plus sensibles du dossier concerne un message WhatsApp attribué au Chargé d’affaires américain Henry Wooster. Dans ce texte adressé à un membre du Conseil présidentiel de transition, le diplomate aurait clairement averti son interlocuteur de renoncer à toute initiative visant à remplacer le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé :
« Si vous et votre famille tenez à votre relation avec les États-Unis… Ce n’est pas le moment de tester la détermination de Washington. »
Pour COPAH, cette formulation franchit une ligne rouge.
Elle relèverait non plus de la fermeté diplomatique, mais de la pression coercitive – une pratique incompatible avec les règles internationales, et surtout profondément offensante pour un peuple déjà meurtri par l’effondrement de ses institutions.
Un impact sociopolitique profond
Au-delà de la dimension juridique, les pasteurs insistent sur les conséquences sociopolitiques de ces interventions répétées. Selon eux, elles alimentent une perception de mépris, de paternalisme et d’humiliation collective au sein de la population haïtienne.
Ces sentiments, rappellent-ils, se manifestent dans un contexte de violence extrême, de paralysie institutionnelle et de disparition progressive des services publics.
Dans un pays où la souveraineté est un marqueur identitaire fort, toute impression de tutelle étrangère se révèle explosive.
Des questions qui fâchent
La lettre de COPAH formule trois questions essentielles, qui résonnent au-delà des milieux religieux :
Comment Haïti peut-il exercer sa souveraineté si les décisions nationales sont constamment réorientées par des pressions étrangères ?
Comment construire une légitimité démocratique lorsque des leaders perçus comme fragiles ou téléguidés remplacent des dirigeants élus ?
Comment concilier les discours pro-démocratie de Washington avec l’usage de la révocation de visas comme outil de pression politique ?
Ces interrogations, soulignent les pasteurs, relèvent autant de la morale politique que des principes démocratiques dont les États-Unis se réclament sur la scène internationale.
Une demande de comptes adressée au Congrès
COPAH ne se contente pas de dénoncer.
L’organisation appelle le Congrès américain à exercer son pouvoir de supervision sur la diplomatie américaine en Haïti. Elle insiste pour que cette supervision soit “concrète, non symbolique” et vise à mettre un terme à des pratiques jugées corrosives pour la relation bilatérale.
Selon ses auteurs, Washington doit désormais démontrer son engagement en faveur de la souveraineté haïtienne “non pas seulement par des discours, mais par une diplomatie responsable qui respecte la capacité des peuples à décider d’eux-mêmes.”
Une interpellation qui marque un tournant
Dans un pays habitué à l’ingérence étrangère autant qu’à la résignation, cette prise de position de COPAH tranche par sa franchise.
Elle met en lumière un débat central : celui de la souveraineté haïtienne dans un contexte où l’effondrement institutionnel a ouvert la voie à de multiples acteurs internationaux, bien intentionnés ou non.
En portant ce débat sur la scène américaine, l’organisation pastorale oblige désormais Washington à se positionner clairement :
la puissance qui dit défendre la démocratie acceptera-t-elle enfin de laisser Haïti exercer pleinement la sienne ?
RL News
