Par Dr Rénald Lubérice
L’insécurité foncière demeure l’un des cancers structurels d’Haïti. Depuis des décennies, registres détruits, titres falsifiés, litiges interminables et cadastre obsolète paralysent le pays. Cette fragilité nourrit les conflits, décourage les investisseurs, affaiblit l’État et appauvrit les familles. La terre, qui devrait être un capital productif, se transforme en source permanente de tensions et d’abus. Dans un contexte où les institutions tentent péniblement de rétablir l’ordre, les spécialistes voient dans la blockchain une opportunité historique : une technologie capable d’apporter transparence, résilience et sécurité dans un domaine miné par la corruption et l’instabilité.
La période de transition représente un moment stratégique pour agir. Les autorités disposent d’une marge de manœuvre rare pour lancer une réforme profonde. La blockchain offre un registre infalsifiable, décentralisé, indépendant des aléas politiques ou des défaillances administratives. Même si un bureau brûle ou si un responsable disparaît, les informations restent protégées. Cette résistance correspond exactement aux défis du système foncier haïtien, rongé par les fraudes, les réseaux mafieux, les destructions volontaires d’archives et l’absence de données fiables.
La proposition, portée par plusieurs acteurs politiques et experts, s’articule autour d’une idée simple : créer un Cadastre National Blockchain d’Haïti (CNB). Ce registre moderne attribuerait un Identifiant Foncier Unique (IFU) à chaque parcelle du pays, garantissant une base de données transparente, standardisée et sécurisée. Cette réforme nécessiterait un décret et s’appuierait sur une vaste opération de vérification : déclarations publiques, cartographie aérienne, numérisation massive des archives et résolution accélérée des litiges devant des tribunaux spécialisés. Chaque acte foncier — vente, donation, héritage, bail, hypothèque — serait enregistré sur blockchain, garantissant une traçabilité totale et une impossibilité de falsification. Par ricochet, la fiscalité immobilière deviendrait plus transparente et automatique, permettant à l’État d’augmenter ses recettes sans créer de nouvelles taxes.
Les bénéfices potentiels pour Haïti sont considérables. Une telle modernisation permettrait une diminution drastique des conflits fonciers, une restauration de la confiance entre les citoyens et l’État, une relance de l’investissement agricole et immobilier, un accès élargi au crédit grâce à des titres sécurisés, un effondrement des fraudes et des doublons, ainsi qu’une modernisation complète de l’administration publique. Dans plusieurs pays — notamment la Géorgie, le Rwanda, la Suède, les Émirats arabes unis ou encore l’Inde — des projets similaires ont déjà produit des résultats concrets, en réduisant les litiges fonciers et en accélérant les transactions.
Haïti ne peut plus se permettre de bâtir son avenir sur des documents qui brûlent, des registres qui disparaissent ou des titres qui se contredisent. L’adoption d’un cadastre fondé sur la blockchain offrirait une sécurité foncière durable et transformerait en profondeur l’économie nationale. La technologie existe, les solutions sont accessibles, et les exemples internationaux démontrent leur efficacité. Reste désormais la question centrale : le pays aura-t-il enfin la volonté politique — et le courage — d’engager cette réforme historique ?
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