Quatre ans après l’assassinat du président Jovenel Moïse, les voix qui s’élevaient hier contre son régime se sont étrangement tues. Journalistes, militants, intellectuels, artistes ou membres d’organisations de la société civile : ceux qui dénonçaient l’autoritarisme, la corruption et la dérive oligarchique du pouvoir d’alors semblent aujourd’hui frappés d’un silence assourdissant. D’où une question brûlante : ces opposants non élus étaient-ils sincères ou simplement des bluffeurs politiques ?
Port-au-Prince, le 1er novembre 2025._Sous la plume acérée de Renald Lubérice, cette interrogation résonne comme une mise en procès moral d’une génération d’indignés. Entre 2017 et 2021, ces figures dominaient l’espace public et médiatique, érigées en gardiens autoproclamés de la République. Mais à mesure que l’État s’effondre, que les gangs contrôlent des pans entiers du territoire et que la misère s’installe, leurs voix se sont tues. Là où ils dénonçaient hier la dérive présidentielle, ils tolèrent aujourd’hui l’absence totale d’État. Là où ils invoquaient la Constitution, ils acceptent un provisoire sans fin.
Selon Lubérice, cette disparition du débat révèle une vérité dérangeante : « beaucoup d’entre eux n’étaient pas des révolutionnaires, mais des gestionnaires de révolte ». Leur indignation, calibrée pour les micros et tempérée pour les bailleurs, aurait été davantage une stratégie qu’une conviction. Ils voulaient, écrit-il, « une révolution sans douleur, un changement sans sacrifice ». Résultat : les moralistes de la transition sont devenus les experts du silence. La contestation s’est transformée en carrière ; le courage, en protocole ; et la colère populaire, en simple opportunité de positionnement.
De la rue aux salons de la coopération
L’auteur rappelle qu’au-delà de ses erreurs, Jovenel Moïse portait une ambition : celle d’ébranler un ordre établi et de libérer le pays des rentes économiques et politiques. Son assassinat, selon lui, ne fut pas la victoire du peuple, mais celle du système qu’il dérangeait. Les promoteurs d’une « transition de rupture » auraient finalement scellé, par leur silence, le retour de l’ancien ordre.
Pendant que les anciens porte-voix de la morale publique se recyclent en consultants, le peuple, lui, continue de payer le prix de la désillusion. Les mères de Bel-Air, les jeunes de La Saline, les enseignants impayés, les enfants déplacés de Carrefour ou de Gros-Morne se souviennent encore de ceux qui criaient pour la gloire et de ceux qui criaient pour le peuple.
De l’indignation à la responsabilité
Pour Renald Lubérice, l’histoire retiendra que ces opposants non élus ont peut-être remporté la bataille médiatique, mais perdu la guerre morale. Ils ont confondu la chute d’un président avec la renaissance d’une nation. Or, souligne-t-il, « le vrai courage n’était pas de hurler contre Jovenel Moïse, mais de continuer à parler après lui, quand la peur s’est faite gouvernement et que la vérité s’est faite orpheline ».
Haïti, conclut-il, ne réclame plus des indignés intermittents, mais des bâtisseurs obstinés — ceux qui refusent le confort du silence pour redonner voix à une République à bout de souffle.
RLnews ( RL)
