Alors que le système d’identification nationale basé sur la technologie Dermalog est au cœur de l’architecture électorale haïtienne, une lettre ouverte adressée au directeur général de l’Office national d’identification (ONI) remet en question la transparence, la fiabilité et l’intégrité de la base de données nationale. À travers une série de demandes précises, l’ingénieur et citoyen haïtien Alex St-Gardien Jecrois appelle à un audit crédible et à une clarification publique devenue, selon lui, indispensable à la confiance démocratique.
Depuis 2019, Haïti utilise un nouveau système d’identification nationale reposant sur la technologie Dermalog. Le contrat initial, prévu pour une durée de quatre ans, a donné lieu à plusieurs phases de tests et à un remplacement progressif de l’ancienne carte d’identité. Pourtant, six ans plus tard, aucun rapport public global, détaillé et vérifiable n’a été officiellement présenté à la population.
Dans sa lettre adressée à Reynold Guerrier, directeur général de l’ONI, Alex St-Gardien Jecrois souligne cette absence de redevabilité, estimant qu’un système aussi central — notamment pour l’accès aux droits civiques et au vote — ne peut fonctionner durablement dans l’opacité.
Des chiffres officiels qui soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses
Selon des données récemment communiquées par l’ONI, 6,37 millions de personnes seraient enregistrées dans la base nationale d’identification. Parmi elles, 1,07 million auraient été inscrites depuis 2023, tandis que 5,62 millions de citoyens disposeraient aujourd’hui d’une carte considérée comme valide.
Mais un autre chiffre, beaucoup plus préoccupant, alimente les inquiétudes : l’existence évoquée d’environ 800 000 cartes en doublon sur un ensemble estimé à près de 4 millions d’enregistrements analysés. Pour l’auteur de la lettre, ce volume de doublons pose un problème majeur de fiabilité, avec des implications directes sur les listes électorales et l’organisation de futurs scrutins.
Un audit annoncé, mais jamais rendu public
Face à ces dysfonctionnements supposés, un contrat d’audit aurait été attribué de gré à gré à une firme étrangère, Satori Consulting Firm, dans le but de vérifier la base de données de l’ONI. Le contrat aurait reçu l’aval des instances concernées. Cependant, à ce jour, aucun rapport d’audit n’a été publié, aucune méthodologie n’a été expliquée, et aucune correction documentée des doublons n’a été portée à la connaissance du public.
Cette absence d’information nourrit le doute. Était-ce un audit technique approfondi ? A-t-il réellement été mené ? Et si oui, pourquoi ses conclusions restent-elles confidentielles alors qu’elles concernent l’identité de millions de citoyens ?
Cinq demandes précises au directeur de l’ONI
Dans sa démarche, Alex St-Gardien Jecrois ne se limite pas à une dénonciation. Il formule cinq demandes publiques, structurées et techniques, à l’attention de la direction générale de l’ONI :
La publication du nombre exact de cartes Dermalog produites et délivrées chaque année depuis 2019 ;
La communication du volume réel de doublons détectés, ainsi que des mesures prises pour les corriger ;
Une clarification sur les critères techniques et administratifs ayant permis de valider 1,07 million de nouvelles inscriptions depuis 2023 ;
La publication du rapport d’audit, ou à défaut, une explication claire de son absence ;
L’évaluation du taux réel de couverture de la population adulte, en excluant doublons et enregistrements irréguliers.
Une question centrale : la crédibilité du processus électoral
Au-delà des chiffres et des procédures, la lettre met en lumière une préoccupation fondamentale : la confiance. Sans transparence sur la base de données de l’ONI, l’auteur considère que toute tentative de relancer un processus électoral crédible est vouée à l’échec.
« La transparence sur ces points n’est pas une faveur, mais une obligation envers le peuple haïtien », insiste-t-il, rappelant que l’identité légale conditionne à la fois le droit de vote et l’inclusion citoyenne.
En conclusion, Alex St-Gardien Jecrois invite la direction de l’ONI à initier rapidement un processus de clarification publique, appuyé par un audit technique indépendant, crédible et accessible. À défaut, prévient-il, le système d’identification nationale restera un facteur de fragilité démocratique plutôt qu’un outil de stabilisation institutionnelle.
À l’approche de toute perspective électorale, cette interpellation remet au centre du débat une question essentielle : sans identité fiable, peut-il y avoir des élections légitimes ?
RL News
