Visite de Gustavo Petro en Haïti : diplomatie visible, intérêts cachés ?
Pour la deuxième fois en moins d’un an, le président colombien Gustavo Petro s’est rendu en Haïti. Si les échanges officiels parlent de coopération sécuritaire, des questions restent en suspens sur les véritables enjeux de cette visite.
Moins d’un an après sa première escale, le président colombien Gustavo Petro a foulé de nouveau le sol haïtien ce vendredi 18 juillet 2025. Reçu à l’Aéroport International Toussaint Louverture par une brochette d’officiels haïtiens — dont le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé et le président du Conseil présidentiel de transition, Fritz Alphonse Jean —, le chef de l’État colombien n’a pas fait le déplacement pour une simple visite de courtoisie.
Officiellement, cette deuxième visite est présentée comme un acte de renforcement des relations bilatérales entre Haïti et la Colombie. Au menu : discussions sur la coopération sécuritaire, la formation des forces armées et policières, ainsi que la consolidation des liens institutionnels. Le ton est diplomatique, le programme structuré. Mais dans un pays où la présence étrangère suscite autant de méfiance que d’attentes, difficile de ne pas s’interroger sur les véritables enjeux d’une telle visite.
Une diplomatie de proximité… ou d’influence ?
Ce n’est pas anodin que Petro, figure progressiste de la gauche latino-américaine, se montre aussi présent en Haïti alors que le pays traverse l’une des crises sécuritaires les plus profondes de son histoire. Le choix de discuter principalement de coopération sécuritaire pourrait laisser croire à un soutien technique désintéressé. Mais plusieurs analystes s’interrogent sur les motivations réelles de cette initiative, notamment dans le contexte de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), pilotée par le Kenya mais soutenue activement par des puissances régionales et extra-régionales, dont la Colombie.
La Colombie, connue pour ses experts en contre-insurrection et en formation militaire, pourrait chercher à positionner ses troupes ou ses spécialistes dans le cadre d’une coopération plus poussée avec les forces haïtiennes. Cette perspective soulève des questions de souveraineté, surtout dans un contexte où la Police Nationale d’Haïti (PNH) est fragilisée et où l’armée haïtienne reste symbolique.
Derrière les sourires diplomatiques, les échanges annoncés avec le haut commandement militaire et policier d’Haïti pourraient cacher des négociations sur des formes d’assistance technique, de présence sur le terrain, voire de contrats d’armement ou de renseignement. La Colombie a, rappelons-le, une longue tradition d’exportation de services sécuritaires dans la région.
Une rencontre hautement politique
La composition de la délégation haïtienne, incluant à la fois le Premier ministre et les membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), révèle l’importance politique de la visite. Alors que le CPT peine à asseoir son autorité et que la transition reste contestée sur plusieurs fronts, cette visite de Petro apporte un soutien diplomatique implicite à l’actuel gouvernement de transition. Elle pourrait être interprétée comme une reconnaissance tacite du leadership en place, à un moment où celui-ci cherche à gagner en légitimité nationale et internationale.
Des non-dits lourds de sens
Aucun mot n’a été glissé sur l’implication présumée de ressortissants colombiens dans l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021. Ce silence, qui contraste avec l’agenda sécuritaire de la visite, laisse planer un malaise. La justice haïtienne et internationale ne semble pas avoir obtenu l’assistance pleine et entière de la Colombie dans ce dossier. Or, ce chapitre sensible continue de peser lourd dans les relations entre les deux pays.
La visite du président Gustavo Petro, bien que revêtue d’un vernis diplomatique impeccable, ne saurait être interprétée uniquement à la lumière de ce qui a été dit. Entre coopération sécuritaire, renforcement institutionnel et réalignement géopolitique, cette visite questionne. Que vient réellement chercher la Colombie en Haïti ? Et à quel prix ? Autant de questions auxquelles ni le protocole ni les communiqués officiels ne répondent pleinement.
RLnews ( RL)
